« Nous espérons éradiquer l’apatridie d’ici 2024 », dixit Bassirou Nignan, associé à la protection/apatridie au UNHCR
La communauté de Sant’Egidio à travers le programme BRAVO ! a organisé le 6ème atelier de formation sur la modernisation de l’état civil au profit des acteurs concernés, tenu du 3 au 7 juillet 2017. A cette occasion, avec la collaboration de Haut commissariat des Nations Unies pour les refugiés (HCR) Burkina Faso, un module a été développé pour approfondir les liens entre état civil, apatridie et droit de nationalité. Pour parler de l’apatridie, nous avons tendu notre micro à M. Bassirou Nignan, associé à la protection/apatridie au HCR. Lisez plutôt.
En des mots très simples, quelle définition pouvez-vous donner de l’apatridie ?
En réalité, parler de l’apatridie semble un peu surprenant pour de nombres personnes au sein de la population. C’est éventuellement dû au fait qu’il y a une certaine ignorance de la problématique dans la mesure où beaucoup font une confusion entre l’identité et la nationalité. L’identité, c’est l’identification que vous faites de vous-même à savoir que vous vous reconnaissez comme étant burkinabè alors que la question de la nationalité justement c’est une détermination de la loi. C’est la loi qui pose les conditions, les critères à remplir pour obtenir la preuve de la nationalité d’un Etat donné. Dans tous les pays au monde c’est ce qui se passe. Du coup, les populations s’identifient comme des burkinabè mais, il peut avoir des difficultés à rassembler les éléments ou les conditions prévues par la loi pour obtenir la preuve de la nationalité burkinabè. C’est à cela qu’elles peuvent être des personnes à risque d’apatridie pour les personnes qui vivent réellement le phénomène de l’apatridie à savoir qu’elles sont des apatrides.
Quel est le nombre d’apatride au Burkina ?
Aujourd’hui, nous ne pouvons pas vous dire quel est le nombre d’apatride ou le nombre de personnes à risque d’apatridie au Burkina Faso. Puisque nous n’avons pas de données précises pour la question. Nous travaillons justement à avoir ces éléments avec l’appui de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD). Avec le recensement qui sera fait très bientôt, on pourra vous faire une cartographie de l’apatridie à savoir du sud, à l’ouest, à l’Est ou au nord, quelles sont justement les catégories de personnes qui sont à risque d’apatridie ou les personnes qui sont réellement apatride. Nous pensons pouvoir lancer une étude également qui va nous faire un point précis sur cette question.
Un apatride a-t-il des droits ?
C’est là tout le problème. Ce sont les conséquences de l’apatridie puisqu’en réalité depuis 1948 avec la déclaration universelle des droits de l’homme, il est dit à son article 15 que la nationalité c’est le droit d’avoir des droits. Donc tout le monde a droit à la nationalité. C’est un droit inhérent à la nature humaine. Si vous n’avez pas justement la nationalité, vous vous rendez compte que vous perdez tous les droits que la nationalité vous octroie. Finalement, c’est une personne en souffrance qui aura ses droits civils, politiques, économiques et sociaux remis en cause. Dans certains pays, souvenez vous, il n’y a pas très longtemps, la documentation était sans importance. Aujourd’hui, pour se déplacer, il faut de la documentation. Dans certains pays, pour accéder à un service de soins, il vous faut par exemple présenter la preuve de la nationalité ou une carte d’identité nationale. Si ces éléments ne sont pas là, vous ne pouvez pas justement bénéficier de ces droits qui sont des droits sociaux. Si vous n’avez pas justement cette documentation, vous ne pourrez pas choisir par exemple des personnes qui vous représenteront valablement dans la commune ou la localité pour contribuer au développement de cette commune et partant du développement de tout le pays en question.
Très souvent quand on parle de refugiés, il y a un lien qu’on fait avec l’apatridie, une réponse à cela, pourquoi ce « jumelage » ?
A priori, il faut éviter de faire les confusions. Un refugié n’est pas un apatride et un apatride n’est pas un refugié. Le principe est clair. Cependant, on peut trouver parmi les refugiés des personnes qui sont des apatrides parce qu’elles ont des difficultés ou elles ne peuvent pas prouver leur appartenance à un Etat précis. Donc, il ne faut pas tirer la conclusion qu’un refugié est d’office un apatride ou un apatride est d’office un refugié.
Qu’est ce qui favorise l’apatridie ? Souvent, on a l’impression que dans notre administration, il y a des faits même qui favorise l’apatridie.
Absolument, c’est une question de la gestion des services de l’état civil. Tout part de là. En réalité, parmi les causes de l’apatridie il y a également les questions de la mauvaise gestion des services de l’état civil ; les déclarations de naissance qui ne sont pas faites ou mal faites ; les registres qui ne sont pas tenus ou mal tenus de sorte que vous aurez du mal à reconstituer l’acte de naissance pour pouvoir remplir les autres conditions et obtenir la preuve de la nationalité d’un Etat X. Il y a aussi des données discriminatoires qui font par exemple que vous pouvez naitre dans un Etat et ne pas être en mesure de faire la preuve de votre appartenance à cet Etat. Cela est dû à quoi exactement ? Il y a des Etats en Afrique où la femme ne peut pas transmettre sa nationalité. Imaginez alors que cette dernière ne puisse pas faire reconnaitre l’enfant dont elle donnera naissance. Du coup, elle elle peut avoir une nationalité mais, l’enfant qui naitra peut être finalement sans nationalité parce que les conditions déterminées par la loi du pays en question dit que la femme ne transmette pas sa nationalité. Ce sont des lois discriminatoires.
Qu’est ce que le UNHCR fait à ce niveau ?
Nous travaillons pour une prise de conscience au niveau des populations et à faire en sorte que le gouvernement burkinabè puisse également s’engager fermement à lutter contre l’apatridie et à aller vers l’éradication de ce phénomène. Nous avons à cet effet, élaborer un plan d’action national sur 9 mois qui décline un certain nombre d’activités que nous allons étaler jusqu’en 2024. Nous espérons éradiquer l’apatridie d’ici 2024. Il s’agit entre autres de doter les populations d’actes de naissance, de certificat de nationalité et faire justement une étude qui nous permet d’avoir une cartographie de l’apatridie au Burkina Faso à savoir les différentes sources d’apatridie au profit même de l’apatride au Burkina Faso. Il s’agit aussi d’inviter et d’insister pour que le gouvernement s’engage à travers des échanges de formation entre les acteurs judiciaires pour permettre à ces dernières personnes de revoir les procédures de détermination ou d’obtention de la nationalité. Nous avons récemment formé les autorités administratives et judiciaires de la région de l’Est et également de la région du Sahel. Nous avons la semaine dernière formé également les magistrats et d’autres cadres du ministère de la justice à Koudougou pour les amener justement à prendre conscience des conséquences de l’apatridie et à harmoniser les pratiques de délivrance du certificat de nationalité burkinabè.
Pour une personne qui est frappée d’apatridie, est ce qu’il y a un processus pour être naturalisé ?
Cela fait parti d’un des points importants de notre plan d’action. Il s’agit pour nous ici de travailler à avoir une loi qui porte sur le statut de l’apatridie à savoir que cette loi permettra de déterminer comment on vous donne le statut d’apatride. Si vous êtes un apatride, il va falloir qu’effectivement on parvienne à vous donner un acte qui vous identifie comme tel. Ensuite, nous allons faire un plaidoyer auprès de l’autorité gouvernementale pour que vous puissiez être naturalisé. C’est en ce moment que vous allez obtenir la nationalité burkinabè par exemple. Mais, il faudra préalablement une loi portant statut des apatrides et ensuite à partir de là, vous jouissez d’un ensemble de droits qui vous permettra de vivre en tant que être humain. Le plaidoyer viendra par la suite pour que vous puissiez être naturalisé pour obtenir la nationalité burkinabè.
Quand est ce que le Burkina Faso pourrait avoir une loi portant statut des apatrides ?
Le Burkina Faso n’a pas encore cette loi mais, nous pensons pouvoir le faire dans un futur très proche dans la mesure où il y a des actions préalables qu’il faut c’est-à-dire avoir la cartographie, avoir des statistiques sur l’apatridie avant de passer à l’autre étape qui est celle de la loi permettant d’octroyer le statut à des personnes qui sont effectivement apatrides.
Y a-t-il des instruments en matière d’apatridie auxquels le Burkina n’a pas encore souscrit ou ratifié ?
Il faut saluer et féliciter l’effort du gouvernement, en cela que la convention de 1954 sur le statut des apatrides a été déjà ratifiée par le Burkina Faso, ainsi que la convention de 1961 portant sur la réduction des cas d’apatridie ratifiée en avril dernier. Le président du Faso a pris justement un décret portant ratification justement de cette convention. C’est un engagement. Il faut insister toujours à ce que des actions sur le terrain puissent être menées en faisant un travail opérationnel pour traquer les causes de l’apatridie, réduire les conséquences néfastes pour les populations et amener ces dernières à pouvoir participer au développement de l’Etat.
Au cours d’une rencontre tenue février 2015 à Abidjan, vous avez eu à parler de cet aspect, n’y a-t-il pas une certaine lenteur dans les pratiques sur le terrain.
En réalité, ce sont des engagements pris par certains Etats membres de la CEDEAO en février 2015 lors de la déclaration d’Abidjan. Au niveau de ces déclarations, ces Etats se sont engagés sur plusieurs points à poser des actions très fortes qui doivent assister à lutter contre l’apatridie, à réduire les cas d’apatridie, à faire des recensements et à donner de la documentation aux différentes populations. La communauté internationale essaie d’accompagner, d’aider et encourager l’Etat à aller chaque fois de l’avant. Dans les différents Etats, ce n’est pas le même rythme, ni le même niveau de développement de sorte que les actions, les réponses qui sont données aux engagements ne sont pas aux mêmes rythmes ni de la même manière. Alors, il va falloir continuer à travailler en synergie pour avoir des bonnes réponses pour la problématique de l’apatridie.
Lorsqu’un apatride commet une infraction dans un pays, comment est-il jugé du fait qu’il n’a pas d’identité ?
Un apatride qui commettrait une infraction, si on le déclare apatride c’est qu’il a un statut, il a au moins un document qui fait de lui un apatride. A travers ce document, il y a cas même des éléments qui permette de l’identifier avec nom, prénom, âge précis. Maintenant, si il n’a pas été encore été reconnu comme apatride, on parlera de personne à risque d’apatridie parce que tout ce qui tourne autour de lui sont des éléments qui l’amène vers l’apatridie réellement. Mais, en attendant d’être reconnu avec un acte précis qui l’octroie ce statut, on dit de lui qu’il est une personne à risque d’apatridie. Si éventuellement il est auteur d’une infraction, il sera traduit devant les juridictions certainement comme toute autre personne. Il y a lieu en ce moment de ne pas oublier la présomption d’innocence jusqu’à ce que le tribunal vienne à le déclarer coupable des faits dont on lui reproche.
Le Burkina Faso compte combien d’apatride ?
C’est extrêmement difficile de pouvoir donner un chiffre précis. Dans le monde entier d’ailleurs, il y a plus de 12 millions de personnes qui sont apatrides. En Afrique de l’ouest, on parle de 750 000 personnes, la majeur partie de ces populations se trouve sur le territoire ivoirien, vous savez très bien que nous avons une forte communauté en Cote d’Ivoire. Le Burkina Faso est également concerné par le phénomène. Le HCR Burkina travaille à avoir des données qui permettra d’outiller les zones où il y a des souches d’apatridie et ensuite pouvoir aller avec des statistiques fiables que nous pourrons vous présenter en disant qu’au Burkina, il y a tel nombre d’apatride et tel autre nombre de personne à risque d’apatridie. C’est un travail en cours raison pour laquelle on ne peut pas aujourd’hui vous donner des données statistiques.
Interview réalisé par Dieudonné LANKOANDE