Procès du putsch manqué : « Ce que nous jugeons, c’est un courant politique » Me Prospère Farama
Suspendu pendant plusieurs mois à cause d’un mouvement d’humeur des avocats burkinabè, le procès du putsch manqué de 2015 a repris ce mardi 11 juin 2019. Au cours de cette journée, l’avocat de la partie civile Me Prospère Farama a fait une plaidoirie dans laquelle celui-ci a estimé que ce procès au delà des accusés est le procès d’un courant politique.
» Cela fait 16 mois que nous jugeons des militaires et des hommes politiques de notre pays pour des faits extrêmement graves. Mais, pour moi, au-delà de ces personnes-là, ce que nous jugeons, c’est un courant politique, l’usage des armes pour accéder et prendre le pouvoir : le putschisme.
À mon sens, c’est important de retenir cela.
Un courant politique qui existe dans notre pays depuis des décennies et qui endeuillent des familles.
J’ose dire que nous jugeons un type d’armée, une catégorie de militaires, soit politiquement manipulés, soit pour des intérêts égoïstes ont oublié leur rôle de militaire dans une République.
Nous sommes également en train de juger une catégorie de politiciens qui ont du mal à se séparer d’un système qui leur offrait des privilèges et, à cet effet, sont prêts à tout pour préserver ces privilèges, à marcher sur des cadavres s’il le faut.
À ce procès, monsieur le Président (du Tribunal), beaucoup de choses ont été dites. On nous a dit, dans cette salle, que plusieurs militaires qui sont dans le box des accusés étaient pétries de compétences. Ils sont allés même jusqu’à dire que le pays gagnerait à les exploiter au lieu de les laisser moisir en prison.
J’ai envie de dire ceci (et je l’assume) : ce n’est pas ça un vrai soldat. Non !
Un vrai soldat, je dirai un guerrier n’est pas celui-là qui peut tirer une arme de 600 mètres, percer une pièce de monnaie à 200 mètres, etc. Un guerrier n’est pas ce militaire-là qui tire à balle réelle sur des civils à mains nues sans défense. Ça, c’est être assassin, c’est être lâche.
Un guerrier se bat certes, mais pour des causes nobles.
On nous a dit également que ce tribunal est une juridiction d’exception et que par conséquent il ne saura garantir un procès équitable.
Monsieur le Président, de ma petite carrière d’avocat, jamais je n’ai vu une juridiction avec autant de liberté au point que nous même avocats en abusons parfois.
C’est par contre le cas où des gens arrêtés une nuit pour tentative, même pas pour coup d’Etat mais pour tentative, sont jugés la même nuit, reconnus coupables la même nuit (ils avaient à peine prononcé des mots pour leur défense), ont été exécutés et enterrés avant le lever du jour. C’est ce cas-là qui doit être considéré comme un procès inéquitable. Ça s’est passé dans notre pays (…).
On nous a parlé aussi d’une justice à double vitesse. Que le juge a écarté la hiérarchie militaire et s’est uniquement acharné aux petits. C’est possible mais, il est aussi bien de rappeler que dans un procès, il n’y a pas de petits ni de grands. Il n’y a que des coupables et des innocents.
Cependant, tant est-ce que cette thèse soit vraie, dans un procès, jamais la non-comparution d’un complice a dédouané un coupable.
Monsieur le Président, des accusés ont fièrement déclaré ici que tout ce qu’eux ils ont fait, c’était dans le cadre militaire et que dans l’armée, un ordre c’est un ordre, ça s’exécute sans hésitations et sans murmures.
Moi je crois sincèrement que ceux qui ont fait ces déclarations n’étaient pas de bonnes fois. Je suis persuadé que c’étaient des déclarations devant un tribunal pour se tirer d’affaire sinon, je suis sûr qu’ils savent qu’un ordre s’apprécie. C’est vrai qu’on dit que dans la l’armée c’est la discipline mais cela ne veut pas dire que le soldat doit être (excusez-moi) un animal, une bête.
Les auteurs de ces déclarations-là, si on les envoyait d’aller tirer à balle réelle sur leur mère, leur femme ou leurs enfants (même si l’ordre venait du CEMGA lui-même), je ne suis pas certain qu’ils allaient exécuter sans murmures et sans hésitations.
Egalement, tout au long de ce procès, on n’a cessé de parler des écoutes téléphoniques. Au-delà du fait que M. Djibrill BASSOLET ait porté plainte pour violation de vie privé au niveau de la CEDEAO et en même temps il dit que ces écoutes sont fabriqués ( ce qui est illogique de sa part ), on nous dit que ces écoutes-là ne devraient même pas être faites sans l’avis du juge. Et comme ce n’est pas le juge qui l’a demandé dans cette affaire, alors qu’elles soient purement et simplement écartées.
Moi je crois qu’on doit séparer les choses. En ce qui concerne les enregistrements téléphoniques, il faut savoir qu’il y a des écoutes juridiques et administratives.
Le 1er c’est lorsqu’un juge, dans le cadre d’un affaire et par une note, demande l’écoute d’une personne ;
Le 2ème entre dans la cadre de la sûreté nationale.
Bon à ces personnes-là qui se plaignent qu’on devait avoir un ordre du juge avant de les écouter, que désormais, de grâce s’ils décident encore de faire un putsch, qu’ils aient l’indulgence de prévenir le juge comme ça il pourra être au courant et demander qu’ils soient écoutés. Est-ce qu’avant de faire le coup d’Etat en 2015, vous en avez parlé au juge ? Est-ce que le juge était au courant de votre projet pour autoriser une écoute pendant qu’il était en cours ?
Bref. Monsieur le Président, comme mon prédécesseur l’a si bien dit, la partie civile ne demande que le droit soit dit, que justice soit rendue dans cette affaire afin qu’au moins, même si ça ne réveillera pas les morts, les familles des victimes puissent enfin faire leur deuil et que les blessés et autres ayants droit puissent obtenir réparations. Ce n’est pas de la vengeance mais dans une société, monsieur le Président, aucun crime ne doit être impuni.
Ce que la partie civile veut, c’est qu’à la fin de ce procès, on puisse tous dire : PLUS JAMAIS ÇA DANS NOTRE PAYS.
Je ne voudrai pas terminer mes propos sans répondre à mon très cher ami RAMBO (adjudant-chef NEBIE Moussa) qui, s’est vu découragé, je dirais, une fois pendant mon intervention car il disait avoir foi que je plaiderai pour eux les petits mais qu’avec ce qu’il avait entendu, il avait perdu tout espoir. Je voulais le rassurer. Je suis de ceux-là qui croient que cette tragédie que notre pays a vécu n’est pas la faute aux mains qui ont tenu la gâchette mais les têtes qui ont pensé car sans les généraux, les colonels, les capitaines,…je vois mal le petit peuple de l’armée réfléchir, exécuté ce coup jusqu’à sa consommation totale. Cependant, moi je ne vais pas plaider ni pour le petits, ni pour les grands. Je plaide seulement pour que justice soit rendue à mes clients.
Pendant le coup d’Etat, à la fin de tous communiqués des putschistes, il était écrit ceci : ‘‘QUE DIEU PROTEGE LE BURKINA FASO’’. Ça fait un peu sourire. Vous demandez à DIEU de protéger les populations pendant que vous-mêmes, vous êtes dehors entrain de tirer sur eux. Ça c’est quelle genre de croyance ?
Moi je rêve d’un pays où lorsque les populations des villes et des campagnes apercevront un véhicule militaire qu’ils les applaudissent avec fierté en disant : « voici nos héros » et non avec colère et haine dire : « voici nos bourreaux »
Moi je préfère mourir de la balle d’un soldat ennemi que de mourir d’une balle de mon propre frère burkinabè.
Monsieur le Président, que justice soit rendue ;
Que les coupables soient condamnés ;
Que les innocents soient relaxés ;
J’ai plaidé « .
L’audience continue demain matin à 9h toujours avec les avocats de la partie civile.
L’Observateur PAALGA